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13 Oct 2021

Jeanne La Noire (Establet Jeanne dite)

Guillotinée à Carcassonne le 27 décembre 1792

La personne de Jeanne-la-Noire ne fait qu'une apparition fugitive et sanglante dans l'histoire en 1792. On ne sait presque rien d'elle, au plan individuel ; journalière, veuve, habitant Carcassonne. Mais on associe toujours son nom aux émeutes du 17 Août 1792. L'événement trouve sa place dans le grand conflit de l'époque entre une bourgeoisie commerçante enrichie par l'exportation des blés et le peuple attaché à une simple survie qui passe par le bas prix des grains. Grâce aux nouvelles routes du XVIIIe siècle, les négociants drainent la grande production lauragaise vers le Canal, artère principale en direction du Bas-Languedoc. L'administration hésite entre libéralisme et interdits. Le Parlement de Toulouse, soutenant les intérêts des négociants et des grands propriétaires, s'attire cette réflexion du ministre Terray : " on croirait qu'il préfère l'augmentation du revenu des riches à la faculté de subsister des pauvres ". A plusieurs reprises, notamment en 1773-74, en 1789-90, des convois de blé sont pillés, des émeutes obligent les pouvoirs publics à des distributions à bas prix. La population de la Cité de Carcassonne, pauvre et réduite à la dernière extrémité par la profonde crise de la draperie, se trouve toujours aux premiers rangs. Les " séditieux " échappent à la répression " en se réfugiant dans la Cité, dont ils ferment les portes pour empêcher la main-forte, quelque nombreuse qu'elle soit, d'aller les saisir " (si bien qu'après ce constat, le Directoire du département délibère à l'unanimité le 24 septembre 1790, de demander au roi et à l'Assemblée nationale la démolition des murailles de la Cité).

En août 1792, le prix du pain ayant monté dans de fortes proportions, et les négociants de Castelnaudary, tel Galabert, continuant à exporter de grandes quantités de blé vers la Provence, des attroupements se forment autour du Canal. La population des villages de la Montagne-Noire, avertie par des émissaires, descend, officiers municipaux en tête. On bloque au port du Fresquel un grand convoi de barques. L'administration départementale (au sein de laquelle le procureur général Verdier, partisan du libéralisme économique, avait déjà été pris à partie) tergiverse. Des meneurs, hostiles à la Révolution et à sa politique religieuse, excitent les esprits. Tout cela met le feu aux poudres. Au cours de l'émeute, Verdier est tué, des maisons sont pillées, les barques vidées de leur cargaison. Lors du procès des émeutiers, en décembre 1792, Jeanne Establet, dite Jeanne Négro, est accusée de provocation à l'attroupement et de complicité dans le meurtre de Verdier. Elle se défend, déclarant " qu'allant faire un fagot hors la porte des Carmes de cette ville, elle fit rencontre d'un attroupement qui la fit marcher avec lui à l'effet de lui indiquer le lieu des séances du département, mais qu'elle ne contribua (ni à l'assassinat de Verdier) ni aux enfoncements et enlèvements qui furent commis ". Le jury reconnaît coupable Jeanne-la-Noire et ses deux co-inculpés, Jean Chanard, journalier à Villemoustaussou et François Boyer, dit Paillasse, jardinier à Marseillette. Condamnés à mort, ils sont exécutés, vraisemblablement le 27 décembre 1792, sur la place des Halles. Un roman délirant d'Ed. Ourliac (1832) et un article d'Adrien Génie (1840) allaient faire de Jeanne Establet, une étrangère basanée, une femme sauvage, " général en chef " de l'émeute, responsable du sang versé.

Rémy Cazals - Les Audois (ISBN 2-906442-07-0)